Projet BatsA

Projet BatsA

La chauve-souris est un mammifère quadrupède que certains collectifs du monde classent parmi les oiseaux et qui transgresse les catégories et les frontières. Elle sème le trouble et fait travailler les imaginaires. Dans la vaste région austronésienne qui s'étend à l'est, de la mer de Chine au Pacifique et, à l'ouest, jusqu'à Madagascar, les chiroptères possèdent de multiples connotations. Ils sont tantôt symboles de chance, tantôt dégustés pour leurs chairs, utilisés pour leurs propriétés médicinales, mobilisés dans des rituels, parfois même apprivoisés. Véritables piliers de la biodiversité, les chauves-souris jouent un rôle dans la pollinisation, la fertilisation et la reforestation de nombreux milieux; elles éliminent aussi les insectes. En dépit des virus qu'elles hébergent, les humains entretiennent avec elles de nombreuses relations. BatsAustronesia examine ces questions par des recherches ethnographiques nourries par des questionnements issus de la biologie et de l'écologie, tout en privilégiant un regard anthropologique.

Les Austronésiens sont reconnus comme de grands navigateurs dans l’histoire de l’humanité. L’Austronésie regroupe de nombreux groupes ethniques dont les langues  font partie de la même grande famille linguistique. Ces cultures et les milieux au sein desquels elles s’inscrivent varient considérablement. Il apparait toutefois qu’à une échelle globale, les hominidés de cette vaste région du monde ont coévolué avec les chiroptères, créant au fil du temps des liens interspécifiques qui demeurent méconnus.

Les chercheur·e·s du projet travaillent à la fois de manière individuelle et collective. Chaque doctorant·e mène sa propre recherche de thèse sur une thématique particulière liée au projet et au sein d’un groupe précis. Ce contexte local fait émerger différentes thématiques connexes.  Les chercheurs travaillent à la fois avec des populations austronésiennes et parfois des populations plus anciennes rattachées à  d’autres langues. Les chercheur·e·s collaborent au sein de l’équipe dans une perspective comparative.

Le projet BatsAustronesia repose sur plusieurs axes de recherche. Le premier met en perspective l’articulation entre savoirs locaux et savoirs scientifiques. L’équipe de recherche explore comment ces différentes formes de connaissance peuvent à la fois différer, se croiser ou se compléter. Ces savoirs contribuent à la préservation des milieux (au sens d’Augustin Berque), de la biodiversité et de la diversité culturelle. Les enjeux sont locaux et globaux. Le deuxième axe porte sur les conditions de coexistence entre humains et chauves-souris, cet axe ayant émergé à la suite de la pandémie de COVID-19 au cours de laquelle les chauves-souris ont été accusées. Cette zoonose soulève une question centrale : à quelles conditions une étroite cohabitation entre humains et chiroptères est-elle possible?

Ces deux axes, auxquels des sous-thématiques se rattachent, sont explorés au travers d’ethnographies approfondies menées dans la vaste région austronésienne. Les cinq thèses du projet espèrent proposer des esquisses de réponses à ces questionnements tout en mettant en lumière des problématiques locales liées à la spécificité de chaque terrain.

Il est possible d’établir un lien fondamental entre la biodiversité et la santé des populations, des espèces et des écosystèmes, tout en considérant que les microbes, bactéries et virus jouent un rôle clé dans l’évolution des civilisations et des êtres vivants. Les milieux dans lesquels les humains et les autres formes de vie interagissent sont dynamiques, et en continuelle évolution et transformation. Les humains en ont toutefois souvent une vision très statique.

Le premier axe de la recherche interroge la manière de mettre en résonance les savoirs locaux et scientifiques pour parvenir à une préservation de la biodiversité et à une biosécurité durable. Comment les savoirs locaux et scientifiques peuvent-ils nous aider à vivre en santé dans des milieux éco-dynamiques? Quels rôles jouent les imaginaires dans la perception de la dynamique du vivant? Comment concilier des expériences contrastées et imaginer des solutions acceptables par des collectifs d’une grande diversité?

Le second axe invite à réfléchir aux conditions nécessaires à la coexistence entre humains et chauves-souris. Cette question peut s’élargir à toutes les formes de vies incriminées dans la propagation des zoonoses, une thématique née avec le paradigme biosécuritaire.

La recherche ethnographique offre des outils pour rendre compte de la complexité de ces questions. De plus, l’anthropologie permet d’explorer de manière comparative l’intimité des relations entre humains et chiroptères. Plusieurs communautés de langues austronésiennes ou non vivent aux côtés de ces animaux depuis des millénaires, ils connaissent leur sensibilité et exploitent leurs compétences pour anticiper des typhons, trouver des sources d’eau, etc.

Les précieuses expériences de ces populations aident à mieux saisir les relations que des humains tissent avec le vivant à une époque où, l’Occident a inventé la nature qu’il exploite à la corde ou souhaite préserver envers et contre tout. Le projet entend mieux comprendre comment les humains agissent sur les milieux: comment prédation et conservation, par exemple, fonctionnent ensemble, comment le mutualisme est une solution gagnante, etc.

Au coeur de la catastrophe écologique et sanitaire que nous vivons, le projet s’adosse à des cadres théoriques issus de plusieurs disciplines (géographie, biologie, écologie, etc.), tout en considérant que l’ethnographie et l’anthropologie ont un rôle majeur à jouer pour faire coexister des mondes humains et non-humains d’une grande variété mais également des milieux de vie extrêmement diversifiés.

Le projet BatsAustronesia vise ainsi à documenter et à comprendre comment certaines communautés entretiennent des relations avec des chiroptères, ainsi que la manière dont elles perçoivent ces animaux qui disposent de leurs propres mondes (au sens de von Uexküll). Savoirs locaux et savoirs scientifiques éclairent les manières dont il est possible de cohabiter avec ces espèces.

En plus de jouer un rôle clé dans les écosystèmes, les chauves-souris font également partie de l’alimentation et du commerce dans ces régions. Il  est possible de supposer que les pratiques de ces communautés ont conduit les populations à optimiser l’utilisation de ces animaux, tout en développant des mesures de prévention contre les maladies qu’ils peuvent transmettre. Il est enfin nécessaire d’interroger la préservation de la biodiversité et la compréhension des maladies en intégrant les savoirs écologiques à plusieurs échelles (locale et globale). Les expertises anthropologiques, écologiques, biologiques et épidémiologiques sont mises en dialogue.

Encadrement du projet BatsAustronesia :

  • L’Advisory Board, composé de Pi-chen Liu (Academia Sinica, Taiwan), Scott Simon (U. Ottawa, Canada), Thierry Hance (Uclouvain, Belgique), Wendy Rose (ICJM, Île Maurice), Chiarella Mattern (Insitut Pasteur, Madagascar), Marius Gilbert (Ulb, Belgique), Kritzler Tanalgo (Philippines), Florence Brunois  (LAS du Collège de France) et Lucienne Strivay (ULiège, Belgique). Leurs expertises apportent un savoir précieux au projet.

  • Le Comité Éthique, composé de Muriel Moens de Hase (Uclouvain, Belgique), Joseph Levy (UQAM, Canada) et Charles Hubert Born (Uclouvain, Belgique) veille aux considérations éthiques de la recherche ethnographique sur le terrain.

  • L’équipe administrative de l’Uclouvain et d’INCAL et en particulier Hayat el Yagoubi, Anne-Marie Pessleux et Laetitia Simar.

Les résultats de recherche du projet sont publiés dans des revues, des films et des livres en accès libre, conformément aux directives des ERC. Un projet d’exposition est prévu en fin de projet.

Le projet contribue à la série Les Possédés et leurs mondes (avec la collaboration d’Emmanuel Luce, ULaval, Canada) en réalisant des films avec des anthropologues, des écologues et des biologistes qui ont travaillé sur des thématiques afférentes au projet ou dans les régions à l’étude.